Ce sont les premiers mots que souvent on entend lorsqu’on se met à pleurer. Quelle idiotie, ben oui  on pleure et aussi stupide que cela puisse paraître on ne le fait pas exprès. Car finalement, la gêne liée aux pleurs est bien de chez nous. Dans les cultures orientales par exemple, on a bien compris que non seulement c’est dommage de se refreiner, mieux, ce sont autant d’occasions de lâcher les chevaux. Résultat, joies et peines empruntent les mêmes canaux. Cela occasionne toujours un peu le bordel, mais c’est ce qui permet d’être dans le ton que l’on assiste à un mariage ou à un enterrement et de mettre la petite pointe dramaturge qui va bien.

Quand à la légitimité et graduation des peines et des pleurs, là c’est carrément l’anarchie et ça laisse va-t-on dire le champ libre à la spéculation. Comment savoir si une femme dont la maison vient de brûler ressent une plus forte peine et possède donc de meilleures raisons de pleurer qu’une autre fraîchement plaquée ? Objectivement un incendie c’est plus grave, ne serait-ce que par rapport à la réversibilité et pourtant, certaines auraient intérieurement souhaité que toute la maison flambe, avec la grand-mère dedans, pourvu qu’on leur rende l’être aimé.

Les seuls pleurs indiscutables sont ceux liés aux chocs émotionnels quels qu’ils soient. On relève ensuite toute une armada de torrents d’hystérie, de fatigue, de compassion, de joie, de déception, dont le tri s’apparente à chercher un sens à l’amour. Je trouve cela fascinant de pleurer quand on y pense et analyser pourquoi d’un coup ça monte, me fait penser à ces exercices de physique sur la gestion des circuits électriques dans lesquels j’excellais en primaire. On coupe une diode en B3 que se passe t-il en C2 ? Rien. C’est en C3 que ça déraille, car ce qui est sur c’est que ça finissait toujours par déconner quelque part, pourquoi ? Je ne savais pas et je m’en fichais. J’avançais la thèse selon laquelle j’avais des interrupteurs chez moi, que je savais changer une ampoule et que le cas échéant, si c’est plus ambitieux, je me faisais aider.

Tout cela pour dire que pleurer c’est souvent surprenant et pas toujours contrôlable. La venue des larmes quand à elle, n’est pas toujours concomitante de la situation qui les déclenche et il faut souvent se refaire toute l’autoroute en sens inverse pour en comprendre la densité.

C’est ainsi que samedi … j’ai pleuré.

Les contrariétés avaient commencé quelques jours auparavant. Le voisin d’à côté perçait les murs et au bout d’une heure, me demandant si je n’allais pas bientôt directement communiquer avec lui par l’intermédiaire d’une mèche dans le crâne, j’étais allée toquer à la porte. Pas de plan d’attaque particulier, juste l’envie de m’insurger un peu, ça fait du bien parfois surtout lorsqu’il est 5h45. Il a pris un air parfaitement détendu ce qui m’a passablement agacée. Je lui ai fait part de ma sensation de me faire forer la tête depuis 4h40 et que accessoirement c’était la nuit. Ce à quoi il a rétorqué que je dormirai mieux le soir suivant. Je n’ai rien trouvé à dire à cela, cette réplique était d’une désarmante objectivité et je suis rentrée chez moi.

Un peu comme lorsque j’étais allée demander une augmentation quelques mois plus tôt. Arrivant regonflée comme un ballon de baudruche, pensant comme toujours ne jamais gagner ce que je vaux à savoir plus que mon boss, mais moins qu’une infirmière.

J’avais des arguments plein la tête, la détermination qui va avec et allez savoir comment j’étais ressortie du bureau avec rien et je crois même les avoir remerciés.

Phase 1 – Voisin bruyant + Nuit foirée qui ramènent à vieille phase d’échec professionnel antérieur (B2/C4) vous suivez ?

Inutile de préciser que je ne me suis pas rendormie. J’ai allumé la TV, tombant sur du téléachat. À cette heure de grande vulnérabilité intellectuelle la promotion du « Slim Shot » m’a aussitôt ferrée. On y voyait tout un cheptel de femmes arborant des pantalons que jadis elles eurent portés, démontrant leur délirante et nouvelle obsolescence et de fait, rigolant à gorge déployée. Toutes seules. C’était donc cela l’effet minceur : on est légère dans son corps mais aussi et surtout dans sa tête. Il est à noter que souvent, les femmes fraîchement candidates à la « bonasserie » se mettent à s’esclaffer tout le temps pour rien, comme si ça suffisait pour exister désormais, ou ce sont peut-être les six derniers mois passés sous amphétamines qu’elles prenaient pour des racines d’orties.

Lorsque la présentatrice, une dingue hystérique et sans âge passa au set de « Magic Casseroles » je me dis que c’est moi qui allait en traîner en arborant autant de matos seule dans un deux pièces. Pas moins de huit pièces au toucher « velours » n’accrochant jamais et pouvant s’emboiter les unes dans les autres. La présentatrice avait les ongles et le phrasé taillés à l’Américaine et caressait le manche des ustensiles avec un professionnalisme peu attendu en cuisine et je me dis que c’était peut-être ça le porno du pauvre !

De gélules en casseroles, il était déjà 7h30. Une heure bâtarde ne permettant pas de se rendormir avec le plaisir et la sérénité attendue d’une certaine durée. J’ai donc préféré me lever et démarrer cette journée déjà légèrement chiffonnée. Ce mercredi fût donc pénible et lancinant, semé de rendez-vous et autres entretiens candidats que je me surprenais à ne pas écouter une seule seconde, atterrissant parfois juste sur des phrases aussi percutantes que :

« J’ai quitté Mega Watt en 99 car j’avais fait le tour du poste et bla bla bla »

1999, soupirais-je dans ma tête, il fallait encore se fader quinze ans de parcours. Cela me propulsant moi-même sur ma propre vie et me faisant dire que moi aussi j’avais fait le tour de certaines choses, mais pas des mêmes. De penser que, entre autres exemples, je sortais avec deux types à la fois (étant parvenue à la conclusion que c’était un minimum pour en avoir un complet) tout en n’en aimant aucun, et très vraisemblablement aucun ne m’aimant.

Et vlan ! Première montée…

Celle-ci fût en coordination parfaite avec la fin du parcours soporifique de mon interlocutrice ou de son apothéose plutôt. Lorsque je ré atterris pour la quatrième fois, j’étais on ne peut plus de circonstances avec mes yeux humides sur ses paroles :

« En effet, à partir de mi-octobre et jusqu’à mi-juin, j’ai cessé toute activité professionnelle pour prendre en charge et accompagner mon père hémiplégique en fin de vie, invalide à 100%, muet et incontinent à mon domicile en H.A.D (Hospitalisation à Domicile) ».

Je ris intérieurement de cette situation ce qui me permis à moi de ravaler mes larmes, et au passage, de me dire que j’étais une insensible salope. Aussi je décidais d’écourter l’entretien sur cette note empathique n’ayant pas le courage d’entendre ces défauts convenus que sont le perfectionnisme et le volontarisme.

Phase 2 – Le récit de la vie des autres qui ramène égoïstement à la sienne et ses circuits dérivatifs en tous genre (B3/C1)

La journée du lendemain parût démarrer de manière étrangement apaisée et sereine comparé à la veille. J’avais dormi d’une traite, fait de beaux rêves, me réveillant encore imprégnée de l’ambiance d’un retour de plage en fin de journée, groggy de soleil et de mer et allant pour faire la petite sieste d’avant dîner. Il y eut comme un ajustement sur sensation va-t-on dire à ma sortie dans la rue, où il pleuvait des cordes et où la température extérieure frisait avec les trois degrés. Je dus remonter chercher mon parapluie attrapant le courrier au passage, et dépouillant frénétiquement dans l’ascenseur la missive du trésor public qui en deux mots m’assuraient qu’ils seraient toujours là, non pas pour, mais sur moi ! Pour vite contrecarrer cette angoisse montante je me dis que j’irai me taper la cloche le midi, j’avais même déjà le menu en tête : un pot au feu tarte tatin rue Vignon. En descendant donc pour la seconde fois, la première bourrasque de vent retourna le parapluie, flingua ma coque fraichement montée et je ne fis que dix mètres avant de m’apercevoir que j’avais oublié mon téléphone. Demi tour, ascenseur, téléphone, et troisième départ. Le bon cette fois.

Message de Monsieur Andrieux qui m’attendait au bureau depuis vingt minutes demandant poliment s’il y avait un problème. Un problème, pas exactement je l’avais juste complètement oublié et l’appelai aussitôt expliquant que j’étais en chemin, lui proposant de patienter au bistrot d’en bas avec un petit café que je me ferai un plaisir de lui offrir à mon arrivée. Un an que je suivais ce M. Andrieux et un an qu’il cherchait du boulot, ne ménageant pas sa peine, mais jamais il ne « passait ». On lui préférait toujours quelqu’un d’autre. Le brave homme s’était même fait récemment retoquer car trop dynamique. À bout d’arguments je lui avais dit que, dans cette boîte, ils préféraient sans doute recruter des moules. Il avait ri, et m’avait dit que ce devait être un bonheur de m’avoir dans sa vie et cela m’avait profondément touchée. Je m’étais prise d’affection pour ce type et mettais un point d’honneur à ce qu’il trouve. Je me disais et si on pouvait toute sa vie passer entre les mailles du filet et ne jamais avoir « son heure ».

La vie c’est la guerre et il n’y en aura pas pour tout le monde et parfois d’autant moins pour les plus discrets. C’est sur cette pensée que j’arrivais au café, le trouvant installé au fond à notre petite table habituelle. Rien ne semblait pouvoir ébranler son optimisme, pas même mes quarante minutes de retard. Il me demanda aussitôt quel était ce projet dont je voulais lui parler avec un déterminisme mêlé d’excitation. J’avais comme une sensation de déjà vécu lorsque j’amorçais le « alors c’est une super petite boîte qui se développe fortement à l’export et veulent recruter un responsable des achats … » Je lui dis que j’avais envoyé son CV la veille et qu’ils voulaient le rencontrer. Il me dit aussitôt et comme à chaque fois, non sans une pointe d’humour, que nous boirions le champagne s’il était recruté, mais en attendant, on devait en être à une quinzaine de cafés.

Phase 3 – Spleen global avec envie à « double entrée » : Etre Beyonce Knowles ou Thérèse Raquin, bref un truc qui envoie et ou, a sa façon, on s’éclate, voire en bonus on laisse une trace. Ou quand tous les branchements ont l’air bien mais aucune diode ne s’allume !

Et pan… deuxième (petite) montée !

La semaine m’avait jusqu’ici globalement éprouvée  et commençait à me procurer une sensation d’étranglement. Je me dis qu’il fallait rompre géographiquement afin de redistribuer les cartes. Cela témoignait déjà d’un certain optimisme retrouvé, ne serait-ce que comparé au jour d’avant, où je me demandais s’il n’était pas suffisant de vivre un jour sur deux pour assainir les probabilités de sa destinée. Je décidai ainsi de partir en Normandie respirer l’air de la campagne selon la formule consacrée.

Arrivant à la hâte à St Lazare, j’eus tout juste le temps de prendre un billet, un café, une connerie à lire et m’installai à une place tranquille, c’est à dire sans enfants ou personnes encombrées pouvant respirer fort.

J’avais le petit coup de barre naissant qui m’assurait un trajet éclair et je sortis le nécessaire pour me faire les ongles. C’était le seul moment où je pouvais les laisser  sécher sans être tentée de toucher à quelque chose et donc « sagouiner » mon ouvrage. J’avais opté pour un beau rouge sombre que j’apposais avec précision et dextérité. J’avais comme des pommes d’amour au bout des doigts et me laissais doucement bercer par le défilement rapide du paysage ne voyant bientôt plus qu’une masse verte quasi hypnotique.

C’est à cet instant que j’entendis retentir comme dans une torpeur le « contrôle des titres de transport ». Le billet était dans ma poche arrière droite autrement dit inaccessible avant quinze minutes au bas mot sauf à ce que je décide de sacrifier la manucure. Il devait y avoir quatre personnes à contrôler avant moi et c’était insuffisant. J’attendais donc patiemment qu’il arrive à ma hauteur, et de mon plus beau sourire, lui demanda poliment et gentiment s’il pouvait repasser un peu plus tard agitant l’objet du délit. Erreur me dis-je quasi instantanément. Le type était dans une propension à comprendre la coquetterie comme mère Theresa l’eût été au « bling bling », la tolérance en moins.

Phase 4: Les même causes ne produisant pas les mêmes effets ou quand tout s’emballe sans que l’on sache vraiment comment. Court-jus imminent en C6 !

Il prit l’air type de l’abruti qui joue à celui qui a pas envie de rigoler et répéta juste mécaniquement:

– Contrôle du titre de transport s’il vous plaît Mademoiselle.

Je me disais en mon for intérieur il y a deux catégories de gens: ceux qui prennent l’option d’être sympa et les autres. J’avais pour la seconde catégorie une profonde aversion et un niveau de connerie et de surenchère à mettre à disposition peu égalé, étant pour ainsi dire sans limites, et je savais déjà que les conséquences allaient avoir quelque chose d’exagéré.

– Madame !

Dans ma tête, je m’étais aussitôt dotée d’un mari. Cela avait à peu près le poids d’un « je vais le dire à mon père » en maternelle, mais c’est bien de cela dont il s’agissait : une compète de bourrins, et il fallait vite se mettre au niveau.

– Monsieur, Je vous demandais juste si il vous était possible de, par exemple, terminer le contrôle du wagon et revenir à moi ou bien même je viens vous voir dans cinq minutes avec mon billet qui est pour le moment hors d’atteinte ».

Il semblait exclu de lui proposer d’aller chercher lui même le précieux sésame dans mon jean sous peine d’être taclée d’attentat à la pudeur. Il avait l’aigreur primaire de quelqu’un qui n’a peloté personne depuis Mathusalem et ronge son frein en maximisant les opportunités de faire chier. Je complétais par ce trait d’humour que je savais désormais totalement inapproprié:

– J’imagine qu’on a pas du vous la faire souvent celle-là? Moi même je ne l’avais pas prémédité !

– Pour la dernière fois Mademoiselle, souhaitez-vous me présenter ce titre de transport oui ou non?

– Madame ! Eh bien je suis au regret de vous dire que la réponse est non.

– Bon dans ce cas je vais devoir vous verbaliser, vous avez un moyen de paiement, une pièce d’identité?

– Oui bien sur, dans mon portefeuille et il est au moins aussi accessible que le ticket je préfère donc effectivement raquer 50 euros d’amende c’est logique…

En complétant dans ma tête par « pour t’être agréable sombre connard » !

– Trêve de plaisanterie Monsieur, comment fait on dans un cas pareil?

– On descend au prochain arrêt régler ça avec la police.

– Ça me va ! Ravie de pouvoir m’adresser à des autorités compétentes, quel est le prochain arrêt?

– Val de Reuil

– Magnifique !

Il prit alors le téléphone et appela ce que j’imagine être le poste de police:

– Unité 3 appelle pour intervention TER 2374 depuis st Lazare et à destination de Caen. Un individu récalcitrant descendant à Rouen et ne pouvant présenter ni titre de transport, ni pièce d’identité.

– OK, donc là il vont arriver à trois, peut être en gilet pare-balles pour arrêter une nana qui se fait les ongles?!!! Je me demande si l’on est pas puni désormais pour ça… C’est comme appeler les pompiers pour déloger un chat planqué en haut d’une armoire. Je serais presque tentée de vous justifier l’intervention en refusant de descendre et qu’il faille me sortir du train par la force? Voire vous mordre, ça n’aurait pas un peu plus de gueule ça ?

– Vous faites comme vous voulez Mademoiselle

– Madame ! Je vais d’ailleurs juste prévenir mon mari si vous le voulez bien?

– Mais faites je vous en prie.

A la fois ça m’amusait, mais je réalisais aussi et quand même l’absurdité de cette situation que j’avais trop laissée enfler pour décider percer maintenant le ballon.

J’avais désormais de sérieux doutes sur qui était le plus con de nous deux et cela me fit une poussée de confusion.

Et amorça la … 3ème montée.

Prise dans cet engrange de défiance stupide, je demandai alors un peu d’intimité pour appeler mon mari, ou plutôt ma mère, pour la prévenir qu’il allait falloir venir me récupérer à quelques trente kilomètres de Rouen.

Phase 5 – Situation plongeant dans détresse équivalente à menacer HSBC de résilier un compte à moins 1000  et s’entendre dire: « Mais bien sur Madame, aucun problème ». C’est comme arracher toute seule un câble sachant qu’on peut ensuite passer la soirée dans le noir, ou comment se faire croire qu’on met dans l’embarras des gens qui s’en fichent.

Inutile de préciser que depuis le temps, mes ongles étaient secs.

Le samedi j’étais comme sonnée. A la fois vidée et remontée sur tout et rien, en voulant même aux pigeons d’être sur mon chemin. Je me disais que bien évidemment ça n’allait pas, même si je feignais le contraire. Les raisons s’entrechoquaient dans ma tête sans que je puisse les analyser ou hiérarchiser. Tout m’arrivait en pleine tête sans que je sache jusqu’ou au juste remontait l’addition. Loin, s’il en est, car je ne pouvais pas même me rappeler quand j’avais pleuré pour la dernière fois. Je persistais à résister et me dire qu’il n’y avait rien de grave, en tous cas pas de quoi pleurer et pourtant…

Je partis en voiture faire une course quand à la radio passa « la fille d’avril » de Laurent Voulzy. La mélodie, ou son petit ton de voix plaintif et fataliste, allez savoir, je me sentis comme submergée. Il y eut une première larme que je laissais couler jusqu’à en sentir le petit goût salé. Puis une autre et encore une autre, et bientôt un flux ininterrompu. J’en étais secouée de la tête aux pieds, et me sentais comme le fer de lance d’une crue dans l’Hérault. Lorsque les deux premiers barrages sautèrent, je ressentis une espèce de bonheur libératoire qui me fit regretter de na pas en abuser plus souvent.

Le jour d’après, l’ordre naturel reprit ses droits. Je pouvais renverser un litre d’huile d’olive par terre, rester coincée dans un ascenseur, recevoir de mauvaises nouvelles voire encaisser des déceptions en tous genre, tout passait nickel mieux, je m’adressais au sort en disant : « ben c’est tout ? Vas y balance tout ce que t’as ! »

Mais pleure si tu en as envie car ça pour le coup, il semblerait que ça ne soit jamais grave…