« Au commencement, nous configurions toutes nos soirées en mode baise de données. Il m’arrachait barrettes et boutons avec les dents, laissant libre cours à toutes les pirateries, sans pare feu, et nous laissant bientôt défragmentés, des pixels plein les yeux, la mémoire morte. J’étais sa souris, et j’aurai pu ramper le long du périphérique ou parcourir la France à cheval de Nantes jusqu’à Troyes rien que pour déguster des cookies avec lui.

Puis, peu à peu, sans que je puisse déterminer quand avec précision, mon joystick se délita. Il me fallait parfois l’éteindre pour mieux le rallumer. Il se mit par ailleurs à développer une forte tendance à la veille, aimant à rentrer de plus en plus tard, naviguant dans des bars de tâches ou, buvant de la bière à haut débit, il n’allait pas tarder à muter en un véritable porc USB (universel salopard branleur). Il réapparaissait au lever du jour parfois, et sans arguments, abattait la « carte mère », me la vendant comme démissionnaire et peu aimante, tout en me soutenait être extranet, ce que j’avais peine a croire.

J’invoquais alors de sérieuses mises à jour, voir une réinitialisation totale du système si il ne voulait pas avoir a sortir les RAM et que notre histoire ne se termine à la corbeille. Il eut alors ces mots encourageants comme quoi il allait tenter de se rafraîchir, mais ces signes d’améliorations tardèrent à venir… »

Ce fût ma réponse à la question « que t’arrive t-il ? » posée par Samy, gnome urgentiste du « Mac Hospital » d’Opéra. J’étais arrivée quelques deux heures plus tôt, l’engin sous le bras, la mine défaite pour voir si on pouvait faire quelque chose sans pour autant tomber dans l’acharnement technologique. Il faut dire que ces derniers mois ne m’avaient pas non plus laissé le meilleur souvenir. C’était comme avoir quelqu’un qui rentre fraichement sorti du lit d’une autre et vous annonce avoir les symptômes d’une crise cardiaque : On hésite un instant à appeler les secours. Je me suis quand même vite ravisée, me disant allez au pire on le sauve et je verrai ensuite ce que j’en fais. Cela me laissait le temps de réfléchir à un châtiment sur mesure et moins drastique que le caveau.

Alors certes, j’étais un peu affaiblie, mais vigilante pour autant, à ne pas me faire retourner cerveau et portefeuille, et je n’étais visiblement pas la seule dans ce cas là. Les urgences dégorgeaient de maris aimants venus remettre un petit coup de jus à leur femmes, et de bientôt veuves éplorées, mais néanmoins confiantes d’un avenir en technicolor.

Deux clans se détachaient nettement dans cette ruche style « Bienvenue à Gattaca » et dont la qualification dépendait effectivement de l’endroit ou on se plaçait :
Le « Genuis Bar » symbolisait pour nous autre mélasse, l’espoir de se voir rafistoler des moitiés mal en point. Alors que pour le gang des geek au pouvoir tout puissant de vie ou de mort sur nos équipements, nous étions plus vraisemblablement entrain de poireauter au « Bar à Connards ».

Et comme de tout pouvoir il semblerait que l’on abuse, les hommes en bleu abusaient. Régis par une frénésie constante pour certains, ils en devenaient fatigants à observer et donnaient la sensation de brasser du temps, plus qu’autre chose. Quand à ce prétendu dynamisme, il avait sur nous l’effet d’une castratrice mollesse, d’ailleurs personne ne se rebellait ni même ne montrait des signes d’impatience. Nous étions pourtant quelques dizaines en rang d’oignons sur des bancs de bois à en regarder d’autres, tablettes à la main, se raconter leur samedi soir accoudés au balcon et observant les vas et vient du rez-de-chaussée. Drôle de population que les urgentistes. On y retrouvait une certaine variété qui devait scrupuleusement respecter les quotas de rigueur : Des petits, des grands, des cheveux longs des crânes rasés, des percés, des tatoués, de tous tons, et même en déclinaison handicapés. L’Amérique dans toute sa splendeur, pour bien te monter qu’il n’y a pas de barrières, des roues tout au plus. De cette fine observation, je notais cependant l’absence des gros au tableau. Ils devaient flipper de les retrouver planqués assis dans les angles morts ? Ils perdaient en cette configuration de leur superbe. On préférait les garder en mémoire parcourant les allées de Disney, une cuisse de dinde dans une main, un litre de Cherry Coke dans l’autre.

Ce fût donc sur ces pensées hautement sociologiques que Samy m’appela enfin. C’était comme être reçue à un concours. Par reflexe, je faillis même saluer la foule et chuchoter de furtifs petits « mercis » mais on ne m’acclamait pas, on me détestait plus plausiblement. Je ne boudais pas mon plaisir lorsque fendant la foule, il m’emmena à une belle table haute déjà investie par un couple « Génie / Connard ». Ils étaient dans un silence de mort, le mac sous assistance filaire et le gnome Cédric opérant des pommes choses pommes trucs comme pour estimer les réflexes de base de la bête qui avait l’air au bout du rouleau. Il hochait la tête négativement alors que la machine se mettait à émettre un râle étouffé et continu. La propriétaire n’avait pas l’air plus fringante, une soixantaine d’années, un bloc notes à la main, comme suspendue au jugement dernier, les yeux rougis par des nuits sans sommeil. On en bavait tous me rassurais-je. Samy se mit alors à parler fort comme pour faire un rideau entre les malades et en quelque sorte, passer par dessus tout ce désarroi et m’annonça en toute confiance :

« Bon on va regarder tout ça »

Mon diagnostic quelque peu pessimiste n’avait pas eu l’air de l’affoler outre mesure. J’avais mis « tout ça » sous housse et bienveillance et sortit délicatement l’objet du délit. Il l’ouvrit à son tour sans ménagements et alla dans des zones que moi même n’avais jamais explorées. Des paramétrages m’indiqua t-il, me comprenant déjà au stade un des opérations, totalement larguée. On se sent stupide comme avec un inconnu qui arriverait chez vous et saurait direct ou se trouvent les chiottes ! Vous êtes juste inutile quand vous indiquez un couloir qu’il a déjà emprunté.

Il doubla son assurance d’un air condescendant afin de couper court à des questions (idiotes) que j’aurai eu éventuellement envie de demander. Laisser faire les gens qui maitrisent, voilà ce que je me rabâchais dans ma tête. Je n’appréciais pas particulièrement cette situation d’inconfort me disant qu’on nous cassait la tête avec la pression sociale alors que la pression technologique était bien plus pernicieuse, et ne nous laissait finalement aucune latitude. On se réveille un matin et tout est planté. Il n’y a alors pas de réel autre choix que d’agir et de réparer. Ceux qui dorment avec leur chien par exemple sont certes regardés de travers, mais qui les en empêche au fond? Cette pensée en forme de digression m’amena vers sa seconde question :

« Tu me donnes le mot de passe ?»

On notera au passage le tutoiement intempestif dont je ne raffole pas particulièrement dans ces contextes de vulnérabilité, éveillant des réminiscences « Club Med », ou un petit impertinent vient te réveiller pendant ta sieste pour aller faire des sports collectifs. Cela sonne pour moi comme une insulte dans le style : « Allez tu te lèves ma grosse et tu viens jouer à la balle avec nous? »

J’avais bien l’espoir secret d’échapper par je ne sais quel miracle à cette question qui m’avait rendue dingue et que j’avais surtout définitivement abandonnée. Il faut bien comprendre que je ne pouvais, de fait, pas même avoir accès à l’Apple Store, et en ricochet à toutes ces divines applications sur mon téléphone.

Avec le temps, j’avais finis par occulter le progrès. Cela n’était pas une volonté bornée ou délibérée, c’est juste que, ayant loupé un premier wagon, les suivants défilèrent avec une certaine banalité et lorsque je me réveillai, je constatais qu’on avait le TGV. Toutes ces petites aides du quotidien, qui pour moi s’apparentait à reposer sur une troisième jambe, étaient la deuxième pour beaucoup, voire la tête pour d’autres. Cela était-il réellement enviable ? J’étais tiraillé : Je me sentais d’un côté, comprendre la détresse des illettrés lorsqu’ils devaient cacher le pot aux roses, soumis à mille occasions de se faire démasquer. D’un autre côté, il faut croire que je n’étais pas si confortable que cela dans mon marasme car je dois avouer qu’il m’était arrivé, une fois, de faire semblant de commander un « Uber ». J’écoutais en fait les violons G7 me répétant en boucle qu’il n’y avait pas de taxi disponible dans mon secteur tout en faisant coucou à mes amis qui montaient dans une belle berline noire avec chauffeur en costard et eau minérale à l’arrière. Pour moi au mieux se serait une Skoda, de couleur de merde, avec un chauffeur de merde, qui parle, voire qui pue, et si déjà par chance j’arrivais à en choper un.

Le mot de passe, Je ne pouvais donc plus y échapper ? Il ajouta alors en guise d’indice : « Le nom du chat », confiant que cela puisse m’aider. M’aider pas exactement, m’enfoncer dans les tréfonds de la honte plutôt.

Je marquai une pause et sorti mon cahier et un stylo pilote mine feutre bleu le temps de réfléchir à comment j’allais présenter la chose.

Le nom du chat… Alors pour commencer j’en ai eu quatre : Ramsès, Scarlett, Sofia et Trouble. Ce qu’il faut savoir ensuite c’est que chacun possède un surnom officiel de grade 1. Ce qui nous donne respectivement, Gros Maou, Chiffoune, Granounette et Ti Moon, et qui nous met déjà à huit noms potentiels. Ce qui suit est indicible.

Lorsque Sofia dite « Graounette » pissait dans un coin on l’appelait « Granoupisouille ». Quand Scarlett, dite « Chiffoune » ravageait un canapé on pestait : « Chiffoungriffouille » ou bien encore quand Trouble dite « Ti Moon » sautait d’un siège au décodeur Noos quelques huit mètres plus loin, on scandait « Marvellousflyingmoon » Est il utile que je poursuive ?

Comme si cela n’était déjà suffisamment compliqué, il fallait rajouter, dans le cadre d’un mot de passe, une majuscule (peut être) et les chiffres allant d’un banal 76 mon département, à 77 ou 1977 mon année de naissance, ou encore 24, mais peut être 24 à l’envers, histoire de brouiller les pistes… Je les avaient tant brouillées les pistes, qu’après avoir égrené une liste d’une trentaine de proposition, j’étais toujours aussi verrouillée qu’un cellule de Guantanamo. Je précise bien évidemment que j’avais effectuée toutes ces opérations « en fourbe » attendant que Samy parte, me laissant plancher, ou plutôt se délectant de me voir évoluer dans de la tourbe.

Quand il revient je repris l’air que j’avais vu se jouer juste à côté en inversant les rôles à savoir, le petit non en forme de désolation disant je ne vais rien pouvoir faire, je sèche. Samy soupira, jetant un furtif coup d’œil à ma page griffonnée et malgré mes mains apposées de façon à cacher ma liste de Schindler, Il put apercevoir un « Grosmaou24 et une Granoupisouille1977 » qui débordaient. Il m’aurait fallu au moins quatre mains pour couvrir correctement la surface. Il posa ensuite son regard ahuri sur mon Pariscope. Je le sentais commencer à « bugger » et lui dis spontanément : « Très pratique le Pariscope pour voir les sorties ciné et théâtre de la semaine ». La dernière fois que Samy avait du voir un manuel de sorties me dis-je intérieurement, ce devait être lorsqu’il sautait sur les genoux de sa grand mère qui lui faisait miroiter le musée Grevin. Ou pire encore, peut être n’en avait il jamais vu.
La honte n’est finalement qu’une petite mort répétitive qui a vite fait de se dissiper, et les voici donc les limites de la toute puissante dictature du numérique me révoltais-je intérieurement ! Me disant que le gamin sera bien avancé quand, échoué sur une ile déserte, il essayera de « slider » une noix de coco pour l’ouvrir ! Quand aux pommes, elles ne seront pas « Z » ou « F » et il lui faudra user de ses petites pattes pour grimper aux arbres si il veut pouvoir en bouffer ! Et à ce que je sache, on n’a pas encore sorti d’appli pour faire du feu ! Un stage commando à tous les disciples de Steve Jobs, avec interros sur les étoiles, voilà ce que je préconisais sur le champ.

Pour autant, il comprit donc qu’il n’y avait aucune collaboration technique a attendre de ma part et proposa de tout simplement me « dézoner ». Après trois heures passées entre ces murs, c’était donc tout le degré de finesse de la réponse qu’il pouvait apporter à mes problèmes ? Un ticket pour passer du couvent au trottoir. Et moi qui aurait pu m’en remettre à lui l’instant d’avant. Culotté tout de même : le petit avatar couleur du ciel commence par entrer sans frapper, par la porte de derrière, et initialise ensuite une promenade dans toute ma baraque sans même demander le copyright. La « méthode Mac » était donc aussi invasive qu’intrusive. On eût connu des coups de BIT plus délicats mais qu’importe si tout fonctionnait de nouveau?

Rentrant à la hâte à la maison j’avais déjà tout oublié, tout pardonné, ravie de vivre un nouveau départ. Mais l’excitation ne fût que de courte durée quand, dès l’allumage, des warning de toute sorte flambèrent sur l’écran, j’en avais même perdu l’internet et la raison.

C’était l’instant ou il fallait s’imposer de rester calme. Ce que je fis sous une certaine pression interne. Pour purger ces pulsions meurtrières je me projetais lui éclatant la gueule contre mon balcon puis, le lâchant du cinquième étage, m’apaisais instantanément en entendant le fracas qu’il faisait en percutant le muret du local à poubelles. Quand ordure l’on nait…

Je l’avais buté dans ma tête et cette projection permit un détachement tout médical me permettant d’agir au mieux et dans son intérêt, à savoir de le ramener dès le lendemain matin chez les fous. Si ma journée de la veille n’avait pas nécessairement crée des liens, elle me conférait une certaine assurance qui me permit d’aller directement trouver Samy et de lui dire « qu’es-ce que tu fais maintenant ? Et de poursuivre par cette vindicte en forme de suggestion à réflexion : Tu sais, j’ai chez moi une salle de bains de 3m2 dans laquelle j’ai appris à faire pipi et me laver mes dents en même temps, comme quoi la modernité n’a pas qu’un visage…

Alors oui, peut être qu’au Royaume du Mac j’étais la reine des pommes… mais il suffisait d’en franchir le lourd portail pour ré apprendre à marcher.