Nous sommes rue Vieille du Temple. L’enseigne me nargue, mais plus encore, le temps me presse. Jeudi déjà, et vendredi, si tout va bien, je pars pour un week-end impromptu en charmante compagnie. Ces effluves romantiques me mettent déjà dans un état emprunt d’une délicieuse indulgence, de celle dont on est capable quand on a le cœur allégé. Pour un peu, on pourrait même mal me parler en pleine rue, je m’en fiche, mieux j’en souris. Je dis cela, car aux abords de la place de la République, on croise de tristes tableaux de la folie ordinaire. Martha, un de ses piliers, bien connue du quartier me lance ce matin là, et comme tous les autres avec juste quelques variantes techniques, qu’elle va « me faire bouffer ma chatte ». Avec l’habitude, cela finit par vouloir dire « bonjour ». Le plus affreux étant que cela me suggère le plus naturellement du monde que je dois trouver une esthéticienne entre midi et deux heures afin d’être rutilante.

« Le palais des Reines »

L’enseigne semble être l’antre du soin et propose des prix attractifs et des promesses sans ombres mais aussi sans rendez-vous. Je décide de le tenter. On ne parle pas d’une prise de risque mettant en péril un rein ou toute autre fonction vitale. Je m’imagine déjà une ambiance suave et poivrée au sous-sol, propre néanmoins, ou un duo à quatre mains expertes opèrent un débroussaillage en les règles et fournissant même string en papier et diadème.

J’ai toujours rêvé d’aller en Inde. Certes le parallélisme entre cette culture flamboyante et ce qui suit est pour le moins réducteur, mais l’idée c’est de penser qu’ils ont su bâtir des palais de dentelle au Rajasthan et que mon chantier semble nettement moins ambitieux voir totalement hors d’échec. Nous semblons être OK sur le menu et pouvons donc partir en cuisine. Car oui je dois préciser, on ne parle pas le français, ni l’anglais. Perso, ne me reste que le mime. On peut considérer que les ennuis partent de là. Mais c’est en toute confiance que je me hisse alors sur la table, me voyant déjà parler de cette mirifique trouvaille à mes consœurs.

C’est à cet instant que première lampée de cire arrive au centre et décime à peu près un bon tiers de manière totalement asymétrique. Je lève la tête : Bombay sourit, je rebaisse la tête : Paris vomit. Je relève la tête, atterrée : Bombay acquiesce sans aucun signe de fléchissement, gêne ou rétractation. Je dis très gentiment et calmement : « Ah mais non ». Nous sommes dans la configuration de la tarte pour six à couper en cinq et où le couteau incertain mise sur un hypothétique équilibre visuel, simulant en degrés avant puis arrière la répartition la plus juste. Pas évident à rattraper et surtout par quel bout ? Alors oui les deux se mangent, mais la durée de vie du dessert n’excède pas les dix minutes. J’en prends moi au bas mot pour trois semaines.

Le prochain coup de râteau risque d’être décisif : Au mieux j’arbore la moustache d’Hitler à l’envers, au pire le désert de Gobi. Les deux options créant des ambiances totalement différentes sans savoir laquelle serait finalement la pire. Mon « domaine » est dans un sale état. Il faudrait une taille de jardin à la française ou tout du moins parvenir à sauver une allée de Vaux le Vicomte. On a définitivement perdu le charme touffu du parc à l’anglaise. Quand à Le Nôtre et Le Vau, ils se retourneraient dans leurs tombes s’ils parcouraient mes allées. Nous rentrons dans des sphères assez personnelles mais je dois dire que je n’ai jamais été emballée par le modèle « petite fille » surtout à 40 ans passés et encore, le pire est à venir. On aura tôt fait de ressembler à un vieux chat egyptien en s’attachant au souvenir du petit abricot . C’est comme tout finalement il faut savoir s’arrêter…

On tente alors de me faire gober un réaménagement de l’ensemble dans un style plus Taj Mahal. Ma petite bienfaitrice me regarde avec malice et dans un clin d’œil appuyé me montrant la dernière de couverture d’un magazine me dit: «Shalimar…belle ». Je ne comprends pas. Laisse-moi le temps de décortiquer cette allusion qui, apparemment, devrait me permettre d’envisager le carnage sous un autre angle.
Ah OK j’y suis et attention ça va loin : la pub Shalimar, celle qui passe au cinéma et qui dure une éternité. On y voit quelques huit minutes durant, Natalia Vodianova s’éveillant plus radieuse que jamais dans un bain de lait d’Anesse et attendant le retour d’une créature mi-homme, mi-cheval, au son des sitars. La bombe slave est censée incarner la princesse indienne Mumtaz Mahal.

Légère distorsion historique dirons-nous, la pauvre femme, loin de vivre un orgasme en mettant quelques gouttes du divin élixir derrière son oreille, décéda en accouchant de son quatorzième enfant dans d’atroces souffrances. Une veine qu’ils nous aient planqué le bas dans la mousse… Quand au prince, elle ne l’attendait pas dans ces pauses lascives et évanescentes, roulant avec grâce dans des pétales de roses et s’aspergeant de myrrhe. La miséreuse sillonnait les terres avec son bien aimé confrontée par là même aux horreurs de la guerre et parachevant bientôt de la déglinguer tant physiquement que psychologiquement.

Mais que suis-je censée comprendre ? Pour le moment à part des néons qui clignotent, des effluves de cardamome, des pots de cire et ma tranchée, je ne vois rien de très
« Guerlain ». Je crois désormais qu’il est inutile de vouloir expliquer quoi que ce soit. Je ne ferai que m’exposer d’avantage à des complications. A noter le comble d’une épilation : attendre avec impatience la repousse. Aussi loin que je me souvienne, je crois ne jamais m’être fait cette réflexion !

En attendant, je décide que plus personne ne touche à rien, sauf à montrer « patte verte ». Je quitte donc le trône, remballe fleurs, couronne et fierté et me hâte vers la sortie. Sweet Bombay me retient. Et toujours dans ce foutage de gueule à peine dissimulé pointe un doigt interrogatif vers mon visage. C’est à n’en point douter la proposition de lui infliger le même sort que le bas. Tout s’éclaire, nous sommes dans un lieu spécialisé pour des femmes qui n’en seraient pas complètement et évoluant dans le monde du spectacle. C’est à dire rien à fiche des pétasses qui veulent être « clean » au bord d’une piscine. Ici on raisonne gros éclairage, logistique, scène, maquillage outrancier ou, traduit en terme de forfait : visage, dos, bras et tout ce qu’on ne sait pas…mais qu’on imagine sans peine. Alors sauf à ce que je caresse l’idée d’aller traîner mes guêtres chez Michou, il me faut à tout prix sortir d’ici.

Et c’est ainsi que, par les prix alléchée, j’allais être foirée tout l’été !