Et sinon Rick Owens comment ça se passe ? Apparemment bien. Le type a l’air serein, en pleine fulgurance, voire au sommet de son art. C’est un peu comme si face à cela, il était proclamé que le monde va dans la bonne direction mais dans deux sens opposés. C’est du moins ce que l’on tente de faire avaler aux pauvres gens qui n’ont pas compris que la vraie mode, celle qui par définition se démode, serait faite pour descendre dans la rue. J’opte plus volontiers pour une virée au cirque Pinder, ou bien, pour une scène de théâtre contemporain, type refonte des métamorphoses d’Ovide, ou, des artistes mimant l’effroi, traversent la scène en hurlant à la mort.

Au début on se dit que ça se met en place, que ça va démarrer. Après quarante minutes, soit globalement à la moitié, on regarde si les voisins expriment quelques réactions, voire on glane un regard complice qui nous fait dire que oui, le petit monsieur devant qui a l’air tout ce qu’il y a de plus barré, est aussi perdu que soi. Après une heure deux options : la chute va être tellement dingue qu’elle va transcender tout cet ennui. Mais, le plus souvent, la fin ne justifie rien, pas le même le fait d’avoir subi cette daube gratis. Des petits malins vont même jusqu’à feindre l’ovation dans une veine à la mime Marceau, te faisant comprendre que tu n’as rien compris.

Mais Comprendre quoi ? C’est toute la question que pose la mode, et ses dérivatifs en tous genre. Cette question s’est mise à me tarauder plus qu’à l’accoutumée lorsque j’ai découvert les images de cette petite perle de défilé. Pour ceux qui auraient réchappé à cela, on y voit déambuler des binômes féminins, l’un tractant l’autre dans toutes les positions possibles et techniquement gérables. L’effet de surprise passé, je me suis dit que c’était ingénieux, ne serait-ce que vis-à-vis du concept de co – voiturage humain. Mais tel n’était apparemment pas son dessein.

Ainsi, par des systèmes d’harnachement somme toute assez basiques, on pourrait désormais trimballer sa belle – mère au parc, le risque étant d’avoir son cul dans la tête et pour peu que l’on ait la tête dans le cul, double est la peine… Choisissez la donc mince de préférence, sinon s’équiper de rétroviseurs. Vous pourrez également la porter en sac à dos dans un style plus décontracté pour faire du trek Avenue Montaigne. Enfin, dans un esprit « fais attention ou tu mets les pieds » et si vous avez décidé de jouer la carte punitive, vous la positionnerez tête bêche, jambes droites, sa tête rasant le sol, et tiens, faites – lui compter le nombre de mégots de cigarettes qu’elle croisera sur son chemin, à voix haute et distincte s’il vous plaît !

Trêve de plaisanterie, ce serait une ode à la femme forte qui porte en elle, et sur elle le poids des contingences familiales et sociales. Merci Ricky O’, on se sent effectivement traîner cinquante kilos de barbaque chaque jour, et, en ce qui nous concerne, nous aimerions pouvoir faire rouler tout ça derrière, voire tout larguer discrètement dans un virage sans être inquiétées, t’aurais pas une idée ?

Des idées ça n’est pas ce qui manque à certains autres. Que croyez-vous que BHL se soit dit en enfilant son costard et sa chemise blanche immaculée avant de partir en tournée au Kurdistan ?

« Je mets la blanche simple ou à chevrons ? Allez la simple, l’autre a déjà été tweetée à Mossoul avant hier et puis j’aurai moins chaud dans le petit coton égyptien, moins que Valls à la Rochelle ». Pauvre Valls, à Kirkouk par 45 degrés à l’ombre, il n’en serait resté qu’un balai à chiottes. Et puisqu’on est dans le divertissement, moi je dis que notre BHL aurait pu emmener Arielle. Elle ne pèse pas lourd, en poids tout du moins, et ça mettait la note blonde et candide qui va bien entre deux tirs de roquette. Par ailleurs, ce genre de petit modèle se glisse partout, même porté comme une tique le long de la jambe. Ca n’est qu’en fin de journée que l’on ressent la gêne.

Et nous, que pouvons nous bien penser en observant tout cela ?

Eh bien tout bêtement que lorsque la mode s’en va en guerre la chair est canon !

Quelle élégance : Ce croisement de Tom Ford, Matthieu Ricard et Indiana Jones a résolument le chic de donner de la gueule à la guerre, ou choisit il préalablement des guerres qui ont de la gueule pour y apposer sa marque? En voilà un débat philosophique à hauteur de culotte. Lorsqu’on observe la scène on peut presque entendre la musique de Ennio Morricone (alias Royal Canin) qui se met en route : ça tire de partout, mais il reste calme, attentif et pensif. C’est son taff de penser paraît-il ? Il participerait même à des laboratoires d’idées, ces fameux « think tank » à l’Américaine qui concentrent autant de matière grise que pourra en contenir l’éprouvette. Je soupçonne que dans le labo, on se tape aussi un peu l’apéro et quelques queues en pensant à sa tête dans le classement GQ de l’agitateur d’idées de plus sexy de l’année.

Et Bernard, il est plutôt bon là – dedans. Il remet sa mèche et montre aux pauvres types derrière qui transpirent sous leurs casques, viseur au poing la direction de l’ennemi. Car il sait lui ou se trouve l’ennemi avec son œil de lynx. C’est un peu « l’homme Dior » du front. A Paris c’est ce même type qui saute dans une voiture et conduit en regardant le ciel. Et bien lui c’est pareil, il sait déjà qu’il ne va pas mourir. Mais chut, on ne dit pas que c’est juste parce qu’il n’est pas en danger vous voyez ?

On peut quand même s’estimer heureux qu’il se soit gardé d’une certaine excentricité vestimentaire. Là encore Rick Owens aurait pu frapper et faire mal. Je pense notamment à la collection hommes printemps – été 2016, ou les couilles se portent haut et court mais surtout à l’air ! Si quelqu’un peut m’expliquer le concept sur ce coup-là, je suis preneuse. Je penche pour le « what you see is what you get » mais non, merci, on n’en veut pas. Des « hommes tige » neurasthéniques, à l’air profondément inanimé, et dont on a l’impression qu’ils vont rendre l’âme arrivés au bout catwalk.

C’est ainsi que la mode aurait emprunté un nouveau versant social complaisant. On avait eu la période « héroïne chic » des années 90 ou, pour être dans la mouvance, il fallait avoir le mascara qui dégouline le long des joues après avoir vomi tout son dîner, soit une feuille de laitue et cinq vodkas pomme. Il faut croire que la nausée dissipée, l’inspiration des « artistes » et l’interprétation des consommateurs se nourrit désormais aussi un peu de misère. Le pompon avec ce photographe Hongrois qui a fait une série de photos montrant des femmes devant des barbelés les ongles impeccables, foulard sur la tête, et blouse ouverte, faisant des selfies avec un téléphone chanel. Les nanas n’arrivaient certainement pas par la mer, et se sont plus vraisemblablement faites assistées par Alexandre de Paris, un flacon de Elnett à la main que par une cellule sociale.

La frivolité s’immisce donc partout comme autant d’insultes au drame. J’ai d’ailleurs eu cette inavouable réflexion ou, voulant déposer des fringues à la croix rouge, je me suis dit qu’il y aurait du Paul and Joe à Sangatte et bien évidemment … j’étais pas sûre de ça.